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La chronique

La chronique

16.02.2024 • Texte: Sophie Dorsaz

Nous ne sommes jamais seuls

Le début d’hiver nous a gratifiés d’un cadeau dont l’arrivée, d’année en année, ne nous est plus garantie. Cette couche d’or blanc qui a drapé les montagnes nous a même été concédée avec générosité. Le manteau était en effet bien épais pour la saison.

Pour beaucoup, moi compris, ça a marqué le début d’un rituel annuel. Dépoussiérer les skis de randonnée, rassembler la pelle, la sonde et le DVA. Acheter des piles neuves, très important! Renouer avec les dilemmes de l’habillement en mode mille-feuilles. Collants ou pas? Un sous-pull ou un t-shirt? Une épaisse doudoune ou la polaire? Empaqueter le tout dans un sac le plus petit possible, y ajouter un thermos, quelques barres de céréales, les peaux de phoque et prendre de l’altitude.

Sur la base du bulletin d’avalanches, on étudie l’altitude et l’orientation. On suppute la quantité et la qualité de la neige. Bref, on cherche le plan idéal pour se faire plaisir.

Dès les premiers flocons, cette ritournelle nous attrape bien vite. Mais cet hiver, la donne était un peu différente pour moi. En pleine préparation du brevet fédéral d’accompagnatrice en montagne, j’ai dû parfois troquer mes lattes contre des raquettes à neige. Au premier abord, l’échange ne s’est pas fait de bon cœur, je dois l’avouer.

Mais rapidement, j’ai compris que pour apprécier l’exercice, il fallait changer de vision. Remplacer l’exaltation de la glisse dans la poudreuse par ... autre chose. Quoi exactement? Il a fallu l’expérimenter. S’ouvrir à la nouveauté. A défaut de l’adrénaline des virages fluides, la pratique de la raquette m’a amenée à porter une attention accrue à ce qui m’entourait. Quel est cet arbre remarquable au pied duquel nous prenons le temps de boire le thé? Qui est cet oiseau posté au sommet de l’épicéa?

Vous me direz, à raison, que peu importe le matériel que l’on fixe à ses pieds, on peut toujours ouvrir les yeux. Evidemment. Mais en ce qui me concerne, j’ai dû me voir «contrainte» de modifier ma routine hivernale pour le faire. Sans cette exigence d’amasser des heures de pratique en raquettes, je n’aurais probablement pas pris la peine d’élever mon regard vers la cime des arbres ou poser un genou à terre pour inspecter une trace.

Et de cette attention accrue a découlé un sentiment merveilleux: dans la nature, nous ne sommes jamais seuls. Il suffit de s’arrêter, de se taire et d’attendre. Attendre de voir ceux qui nous perçoivent en permanence. Dans le film «La panthère des neiges», Sylvain Tesson évoque «l’incroyable indifférence» avec laquelle il a traversé, des années durant, un grand nombre de paysages. Et je pensais à ces dizaines de sommets visités sans jamais avoir posé un regard interrogateur sur ceux qui m’entourent.

Sans espérer voir le lynx, cette conscience des vies qui grouillent autour de nous a déjà procuré de beaux moments. La gaîté d’attraper dans ses jumelles un grimpereau remontant le tronc d’un vieux mélèze. L’amusement devant un écureuil qui s’élance d’une branche dans la neige. L’émerveillement devant les volutes du gypaète en vol. «Ouvrir les yeux est un antidote au désespoir», nous dit l’écrivain. Et ces rencontres de réelles étreintes de tendresse.

Sophie-Dorsage

La nature en miroir

Sophie Dorsaz aime explorer le vivant sous toutes ses formes à travers ses activités de journaliste, ­d’enseignante de yoga et d’apprentie accompagna­trice en montagne. Au fil de ses chroniques, elle évoque ses cheminements intérieurs et extérieurs

Sophie Dorsaz

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